Cette conférence « Le symbolique, l’imaginaire et
le réel » fut prononcée le 8 juillet 1953 pour ouvrir les activités de la
Société française de Psychanalyse. Cette version est annoncée dans le catalogue
de la Bibliothèque de l’e.l.p. comme version J.L. Il existe plusieurs autres
versions sensiblement différentes à certains endroits, dont une parue dans le
Bulletin de l’Association freudienne,
1982, n° 1.
(1)Mes bons Amis,
Vous pouvez voir que pour cette première communication dite
« scientifique » de notre nouvelle Société, j’ai pris un titre qui ne
manque pas d’ambition. Aussi bien commencerai-je d’abord par m’en excuser, vous
priant de considérer cette communication dite scientifique, plutôt comme, à la
fois, un résumé de points de vue que ceux qui sont ici, ses élèves, connaissent
bien, avec lesquels ils sont familiarisés depuis déjà deux ans par son
enseignement, et aussi comme une sorte de préface ou d’introduction à une certaine orientation d’étude de la psychanalyse.
En effet, je crois que le retour aux textes freudiens qui
ont fait l’objet de mon enseignement depuis deux ans, m’a – ou plutôt,
nous a, à tous qui avons travaillé ensemble, donné l’idée toujours plus certaine
qu’il n’y a pas de prise plus totale de la réalité humaine que celle qui est
faite par l’expérience freudienne et qu’on ne peut pas s’empêcher de retourner
aux sources et à appréhender ces textes vraiment en tous les sens du mot. On ne
peut pas s’empêcher de penser que la théorie de la psychanalyse (et en même
temps la technique qui ne forment qu’une seule et même chose) n’ait subi une
sorte de rétrécissement, et à vrai dire de dégradation. C’est qu’en effet, il
n’est pas facile de se maintenir au niveau d’une telle plénitude. Par exemple,
un texte comme celui de « l’homme aux loups », je pensais le prendre ce soir pour base et pour exemple de ce que
j’ai à vous exposer. Mais j’en ai fait toute la journée d’hier une relecture
complète ; J’avais fait là-dessus un séminaire l’année dernière. Et j’ai
eu tout simplement le (2)sentiment qu’il était tout à fait
impossible ici de vous en donner une idée, même approximative ; et que mon
séminaire de l’année dernière, je n’avais qu’une chose à faire : le
refaire l’année prochaine.
Car ce qui m’est apparu dans ce texte formidable, après le
travail et le progrès que nous avons faits cette année autour du texte de
« l’Homme aux rats », me
laisse à penser que ce que j’avais sorti l’année dernière comme principe, comme
exemple, comme type de pensée caractéristique fournis par ce texte
extraordinaire était littéralement une simple « approche », comme on
dit en langage anglo-saxon ; autrement dit un balbutiement. De sorte
qu’en somme, j’y ferai peut-être incidemment une brève allusion, mais
j’essaierai surtout, tout simplement, de dire quelques mots sur ce que veut
dire la position d’un tel
problème ; sur ce que veut dire la
confrontation de ces trois registres qui sont bien les registres essentiels de
la réalité humaine, registres très distincts
et qui s’appellent : le symbolisme*, l’imaginaire et le réel.
Une chose d’abord qui est évidemment frappant et ne saurait
nous échapper ; à savoir qu’il y a, dans l’analyse, toute une part de réel
chez nos sujets, précisément qui nous échappe ; qui n’échappait pas pour
autant à Freud quand il avait à faire à chacun de ses patients. Mais, bien
entendu, si ça ne lui échappait pas, c’était tout aussi hors de sa prise et de
sa portée. On ne saurait être trop frappé du fait, de la façon dont il parle de
son « homme aux rats », distinguant entre « ses
personnalités ». C’est là-dessus qu’il conclut : « La
personnalité d’un homme fin, intelligent et cultivé », il la met en
contraste avec les autres personnalités auxquelles il a eu à faire. Si cela est
atténué quand il parle de son « homme aux loups », il en parle aussi.
Mais, à vrai dire, nous ne sommes pas forcés de contresigner (3)toutes
ses appréciations. Il ne semble pas qu’il s’agisse dans « l’homme aux
loups » de quelqu’un d’aussi grande classe. Mais il est frappant, il l’a
mis à part comme un point particulier. Quant à sa « Dora », n’en
parlons pas ; tout juste si on ne peut pas dire qu’il l’a aimée.
Il y a donc là quelque chose qui, évidemment, ne manque pas
de nous frapper et qui, en somme, est quelque chose à quoi nous avons tout le
temps à faire. Et je dirai que cet élément direct, cet élément de pesée,
d’appréciation de la personnalité est quelque chose d’assez <texte manque> à
quoi nous avons affaire sur le registre morbide, d’une part, et même sur le
registre de l’expérience analytique avec des sujets qui ne tombent pas
absolument sous le registre morbide ; c’est quelque chose qu’il nous faut
toujours, en somme, réserver et qui est particulièrement présent à notre
expérience à nous autres qui sommes chargés de ce lourd fardeau de faire le
choix de ceux qui se soumettent à l’analyse dans un but didactique.
Qu’est-ce que nous dirons en somme, au bout du compte ?
Quand nous parlons, au terme de notre sélection, si ce n’est que tous les
critères qu’on invoque (« faut-il de la névrose pour faire un bon
analyste ? Un petit peu ? Beaucoup ? Sûrement pas : pas du
tout ? ». Mais en fin de compte, est-ce que c’est ça qui nous guide
dans un jugement qu’aucun texte ne peut définir, et qui nous fait apprécier les
qualités personnelles, cette réalité ? et qui s’exprime en ceci :
qu’un sujet a de l’étoffe ou n’en a
pas ; qu’il est, comme disent les Chinois,
(« She-un-ta ») ? ou « homme de grand format », ou
(« Sha-ho-yen ») « un homme de petit format » ? C’est
quelque chose dont il faut bien dire que c’est ce qui (4)constitue
les limites de notre expérience. Que c’est en ce sens qu’on peut dire, pour
poser la question de savoir qu’est-ce qui est mis en jeu dans
l’analyse : Qu’est-ce que c’est ? Est-ce ce rapport réel au sujet, à
savoir selon une certaine façon et selon
nos mesures de reconnaître ? Est-ce cela à quoi nous avons à faire
dans l’analyse ? Certainement pas. C’est incontestablement autre
chose. Et c’est bien là la question que nous nous posons sans cesse et que se
posent tous ceux qui essaient de donner une théorie de l’expérience analytique.
Qu’est-ce que c’est que cette expérience
singulière entre toutes, qui va apporter chez ces sujets des transformations si
profondes ? Et que sont-elles ? Quel en est le ressort ?
Tout ceci, l’élaboration de la doctrine analytique depuis
des années est faite pour répondre à cette question. Il est certain que l’homme
du commun public ne semble pas s’étonner autrement de l’efficacité de cette
expérience qui se passe toute entière en paroles, et d’une certaine façon, dans
le fond ; il a bien raison puisqu’en effet, elle marche, et que, pour
l’expliquer, il semblerait que nous n’ayons d’abord qu’à démontrer le mouvement
en marchant. Et déjà « parler » c’est s’introduire dans le sujet de
l’expérience analytique. C’est bien là, en effet, qu’il convient de procéder et
de savoir ; d’abord de poser la question : « Qu’est-ce que la parole ? »
c’est-à-dire le « symbole ».
À la vérité, ce à quoi nous assistons, c’est plutôt un
évitement de cette question. Et, bien entendu, ce que nous constatons c’est
qu’à la rétrécir cette question, à vouloir ne voir dans les éléments et les
ressorts proprement techniques de l’analyse que quelque chose qui doit arriver,
par une série d’approches, à modifier les conduites, les ressorts, les coutumes
du (5)sujet, nous aboutissons très vite à un certain nombre de
difficultés et d’impasses, non pas certes au point de leur trouver une place
dans l’ensemble d’une considération totale de l’expérience analytique ;
mais à aller dans ce sens, nous allons toujours plus vers un certain nombre
d’opacités qui s’opposent à nous et qui tendent à transformer dès lors
l’analyse en quelque chose, par exemple, qui apparaîtra comme beaucoup plus
irrationnel que cela n’est réellement.
Il est très frappant de voir combien de récents et récemment
venus à l’expérience analytique se sont produits, dans leur première façon de
s’exprimer sur leur expérience, en posant la question du caractère irrationnel
de cette analyse, alors qu’il semble qu’il n’y a peut-être pas, au contraire,
de technique plus transparente.
Et, bien sûr, tout va dans ce sens. Nous abondons dans un
certain nombre de vues psychologiques plus ou moins partielles du sujet
patient ; nous parlons de sa « pensée magique » ; nous
parlons de toutes sortes de registres qui ont incontestablement leur valeur et
sont rencontrés de façon très vive par l’expérience analytique. De là à penser
que l’analyse elle-même joue dans un certain registre, bien sûr, dans la pensée
magique, il n’y a qu’un pas, vite franchi quand on ne part pas et ne décide pas
de se tenir tout d’abord à la question primordiale : « Qu’est-ce que
cette expérience de la parole » et, pour tout dire, de poser en même temps
la question de l’expérience analytique, la
question de l’essence et de l’échange de la parole.
Je crois que ce dont il s’agit c’est de partir de
ceci :
Partons de l’expérience, telle qu’elle nous est (6)d’abord
présentée dans les premières théories de l’analyse : qu’est-ce que ce
« névrosé » à qui nous avons affaire par l’expérience
analytique ? Qu’est-ce qui va se passer dans l’expérience
analytique ? Et ce passage du conscient à l’inconscient ? Et quelles sont les forces qui donnent à cet
équilibre une certaine existence ? Nous l’appelons le principe du plaisir.
Pour aller vite nous dirons avec M. de Saussure que
« le sujet hallucine son monde », c’est-à-dire que ses illusions ou
ses satisfactions illusoires ne pouvaient être de tous les ordres. Il va leur
faire suivre un autre ordre évidemment que celles de ses satisfactions qui
trouvent leur objet dans le réel pur et simple. Jamais un symptôme n’a apaisé
la faim ou la soif d’une façon durable, hors de l’absorption d’aliments qui les
satisfont. Même si une baisse générale du niveau de la vitalité peut répondre,
dans les cas limites, par exemple l’hibernage naturel ou artificiel. Tout ceci
n’est concevable que comme une phase qui ne saurait bien entendu durer, sauf à
entraîner des dommages irréversibles.
La réversibilité même des troubles névrotiques implique que
l’économie des satisfactions qui y étaient impliquées fussent d’un autre ordre,
et infiniment moins liées à des rythmes organiques fixes, quoique commandant
bien entendu une partie d’entre eux. Ceci définit la catégorie conceptuelle qui
définit cette sorte d’objets. C’est justement celle que je suis en train de
qualifier : « l’imaginaire », si l’on veut bien y reconnaître
toutes les implications qui lui conviennent.
À partir de là, il est tout à fait simple, clair, facile, de
voir que cet ordre de satisfaction imaginaire ne peut se trouver que dans
l’ordre des registres sexuels.
(7)Tout est donné là, à partir de cette sorte de
condition préalable de l’expérience analytique. Et il n’est pas étonnant,
encore que, bien entendu, des choses aient dû être confirmées, contrôlées,
inaugurées, dirais-je, par l’expérience, qu’une fois l’expérience faite les
choses paraissent d’une parfaite rigueur.
Le terme « libido » est une notion qui ne fait
qu’exprimer cette notion de réversibilité qui implique celle d’équivalence,
d’un certain métabolisme des images ; pour pouvoir penser cette
transformation, il faut un terme énergétique à quoi a servi le terme de libido.
Ce dont il s’agit, c’est bien entendu, quelque chose de complexe. Quand je dis
« satisfaction imaginaire », ce n’est évidemment pas le simple fait
que Démétrios a été satisfait du fait d’avoir rêvé qu’il possédait la prêtresse
courtisane… encore que ce cas n’est qu’un cas particulier dans l’ensemble… Mais
c’est quelque chose qui va beaucoup plus loin et est actuellement recoupé par
toute une expérience qui est l’expérience que les biologistes évoquent
concernant les cycles instinctuels, très spécialement dans le registre des
cycles sexuels et de la reproduction ; à savoir que, mises à part les
études encore plus ou moins incertaines et improbables concernant les relais
neurologiques dans le cycle sexuel, qui ne sont pas ce qu’il y a de plus solide
dans leurs études, il est démontré que ces cycles chez les animaux eux-mêmes <texte manque> ils
n’ont pas trouvé d’autres termes que le mot même qui sert à désigner les
troubles et les ressorts primaires sexuels des symptômes chez nos sujets, à
savoir le « déplacement ».
Ce que montre l’étude des cycles instinctuels chez les
animaux, c’est précisément leur dépendance d’un certain nombre de déclencheurs,
de mécanismes de déclenchement (8)qui sont essentiellement d’ordre
imaginaire, et qui sont ce qu’il y a de plus intéressant dans les études du
cycle instinctuel, à savoir que leur limite, leur définition, la façon de les
préciser fondées sur la mise à l’épreuve d’un certain nombre de leurres <texte manque> jusqu’à
une certaine limite d’effacement, sont susceptibles de provoquer chez l’animal
cette sorte de mise en érection de la partie du cycle du comportement sexuel
dont il s’agit. Et le fait qu’à l’intérieur d’un cycle de comportement
déterminé, il est toujours susceptible de survenir dans certaines conditions un
certain nombre de déplacements ; par exemple, dans un cycle de combat, la
brusque survenue, au retour de ce cycle (chez les oiseaux l’un des combattants
qui se met soudain à se lisser les plumes), d’un segment du comportement de
parade qui interviendra là au milieu d’un cycle de combat.
Mille autres exemples peuvent en être donnés. Je ne suis pas
là pour les énumérer. Ceci est simplement pour vous donner l’idée que cet
élément de déplacement est un ressort absolument essentiel de l’ordre, et
principalement de l’ordre des comportements liés à la sexualité. Sans doute,
ces phénomènes ne sont pas électifs chez les animaux. Mais d’autres
comportements (cf. les études de Lorenz sur les fonctions de l’image dans le
cycle du nourrissage), montrent que l’imaginaire joue un rôle aussi éminent
dans l’ordre des comportements sexuels. Et du reste, chez l’homme, c’est
toujours sur ce plan, et principalement sur ce plan, que nous nous trouvons
devant ce phénomène.
D’ores et déjà, signalons, ponctuons cet exposé par
ceci : que ces éléments de comportements instinctuels déplacés chez
l’animal sont susceptibles de quelque chose dont nous voyons l’ébauche de ce
que nous appellerons un « comportement symbolique ».
(9)Ce que l’on appelle chez l’animal un
comportement symbolique c’est à savoir que, quand un de ces segments déplacés
prend une valeur socialisée, il sert au groupe animal de repérage pour un
certain comportement collectif.
Ainsi, nous posons qu’un comportement peut être imaginaire
quand son aiguillage sur des images et sa propre valeur d’image pour un autre
sujet le rendent susceptible de déplacement hors du cycle qui assure la
satisfaction d’un besoin naturel.
À partir de là, l’ensemble dont il s’agit à la racine, le
comportement névrotique, peut être dit, sur le plan de l’économie instinctive,
être élucidé – et de savoir pourquoi il s’agit toujours de comportement
sexuel, bien entendu –. Je n’ai pas besoin d’y revenir, si ce n’est pour
indiquer brièvement qu’un homme puisse éjaculer à la vue d’une pantoufle est
quelque chose qui ne nous surprend pas, ni non plus qu’un conjoint s’en serve
pour le ramener à de meilleurs sentiments, mais qu’assurément personne ne peut
songer qu’une pantoufle puisse servir à apaiser une fringale, même extrême,
d’un individu. De même ce à quoi nous avons à faire constamment c’est à des
fantasmes. Dans l’ordre du traitement, il n’est pas rare que le patient, le
sujet, fasse intervenir, au cours de l’analyse un fantasme tel que celui de la
« fellatio du partenaire analyste ». Est-ce là aussi quelque chose
que nous ferons rentrer dans un cycle archaïque de sa biographie d’une façon
quelconque ? Une antérieure sous-alimentation ? Il est bien évident
que, quel que soit le caractère incorporatif que nous donnions à ces fantasmes,
nous n’y songerons jamais. Qu’est-ce à dire ?
Cela peut dire beaucoup de choses. En fait, il faut bien
voir que l’imaginaire est à la fois loin de se confondre avec le domaine de
l’analysable, et que, d’autre (10)part il peut y avoir une autre
fonction que l’imaginaire. Ce n’est pas parce que l’analysable rencontre
l’imaginaire que l’imaginaire se confond avec l’analysable, qu’il est tout
entier l’analysable, et qu’il est tout entier l’analysable ou l’analysé.
Pour prendre l’exemple de notre fétichiste, bien que ce soit
rare, si nous admettons qu’il s’agit là d’une sorte de perversion primitive, il
n’est pas impossible d’envisager des cas semblables. Supposons qu’il s’agisse
d’un de ces types de déplacement imaginaire, tel que ceux que nous trouvons
réalisés chez l’animal. Supposons en d’autres termes que la pantoufle soit ici,
très strictement, le déplacement de l’organe féminin, puisque c’est beaucoup
plus souvent chez le mâle que le fétichisme existe. S’il n’y avait
littéralement rien qui puisse représenter une élaboration par rapport à cette
donnée primitive, ce serait aussi inanalysable qu’est inanalysable telle ou
telle fixation perverse.
Inversement, pour parler de notre patient, ou sujet, en
proie à un fantasme, là c’est autre chose qui a un tout autre sens, et là, il
est bien clair que si ce fantasme peut être considéré comme quelque chose qui
représente l’imaginaire, peut représenter certaines fixations à un stade
primitif oral de la sexualité, d’autre part, nous ne dirons pas que ce
fellateur soit un fellateur constitutionnel.
J’entends par là qu’ici, le fantasme dont il s’agit,
l’élément imaginaire n’a strictement qu’une valeur symbolique que nous n’avons
à apprécier et à comprendre qu’en fonction du moment de l’analyse où il va
s’insérer. En effet, même si le sujet en retient l’aveu, ce fantasme surgit et
sa fréquence montre assez qu’il surgit à un moment du dialogue analytique. Il
est fait pour s’exprimer, pour être dit, pour symboliser quelque (11)chose
et quelque chose qui a un sens tout différent, selon le moment même du
dialogue.
Donc, qu’est-ce à dire ? Qu’il ne suffit pas qu’un
phénomène représente un déplacement, autrement dit s’inscrive dans les
phénomènes imaginaires, pour être un phénomène analysable, d’une part, et que
pour qu’il le soit, il faut qu’il représente autre chose que lui-même, si je
puis dire.
Pour aborder, d’une certaine façon, le sujet dont je parle,
à savoir le symbolisme, je dirai que toute une part des fonctions imaginaires
dans l’analyse n’ont pas d’autre relation avec la réalité fantasmatique
qu’elles manifestent que, si vous voulez, la syllabe « po » n’en a
avec le vase aux formes, de préférence simples, qu’elle désigne. Comme on le
voit facilement dans le fait que dans « police » ou
« poltron » cette syllabe « po » a évidemment une toute
autre valeur. On pourra se servir du « pot » pour symboliser la
syllabe « po »,inversement, dans le terme « police » ou
« poltron », mais il conviendra alors d’y ajouter en même temps
d’autres termes également imaginaires qui ne seront pas pris là pour autre
chose que comme des syllabes destinées à compléter le mot.
C’est bien ainsi qu’il faut entendre le symbolique dont il
s’agit dans l’échange analytique, à savoir que ce que nous trouvons, et ce dont
nous parlons est ce que nous trouvons et retrouvons sans cesse, et que Freud a
manifesté comme étant sa réalité essentielle, soit qu’il s’agisse de symptômes
réels, actes manqués, et quoi que ce soit qui s’inscrive ; il s’agit
encore et toujours de symboles et de symboles même très spécifiquement
organisés dans le langage, donc fonctionnant à partir de cet équivalent du
signifiant et du signifié : la structure même du langage.
(12)Il n’est pas de moi ce terme que « le
rêve est un rébus » ; c’est de Freud lui-même. Et que le symptôme
n’exprime, lui aussi, quelque chose de structuré et d’organisé comme un langage
est suffisamment manifesté par le fait, pour partir du plus simple d’entre eux,
du symptôme hystérique qui est, qui donne toujours quelque chose d’équivalent
d’une activité sexuelle, mais jamais un équivalent univoque, au contraire il
est toujours plurivoque, superposé, surdéterminé, et, pour tout dire, très
exactement construit à la façon dont les images sont construites dans les
rêves, comme représentant une concurrence, une superposition de symboles, aussi
complexe que l’est une phrase poétique qui vaut à la fois par son ton, sa
structure, ses calembours, ses rythmes, sa sonorité, donc essentiellement sur
plusieurs plans, et de l’ordre et du registre du langage.
À la vérité, ceci ne nous apparaîtra peut-être pas
suffisamment dans son relief, si nous n’essayons pas de voir quand même
qu’est-ce que c’est, tout à fait originairement que le langage !
Bien entendu (la question de l’origine du langage, nous ne
sommes pas ici pour faire un délire collectif, ni organisé, ni individuel.
C’est un des sujets qui peuvent le mieux prêter à ces sortes de délires) sur la
question de l’origine du langage ; le langage est là ; c’est un
émergent. Et maintenant qu’il a émergé, nous ne saurons plus jamais quand ni
comment il a commencé, ni comment c’était avant qu’il soit.
Mais quand même, comment exprimer ce quelque chose qui doit
peut-être s’être présenté comme une des formes les plus primitives du
langage ? Pensez aux mots de passe. Voyez-vous, je choisis exprès cet
exemple, justement parce que l’erreur et le mirage, quand on parle du sujet du
langage, est toujours de croire que sa signification (13)est ce
qu’il désigne. Mais non, mais non. Bien sûr qu’il désigne quelque chose, il
remplit une certaine fonction. Et je choisis exprès le mot de passe, parce que
le mot de passe a cette propriété d’être choisi justement d’une façon tout à
fait indépendante de sa signification (et si celle-ci est idiote, à quoi
l’École répond – sans doute faut-il ne jamais répondre – que la
signification d’un tel mot est de désigner celui qui le prononce comme ayant
telle ou telle propriété répondant à la question qui fait donner le mot.
D’autres diraient que l’exemple est mal choisi parce qu’il est pris à
l’intérieur d’une convention, ça vaut mieux encore) et, d’un autre côté, on ne
peut pas nier que le mot de passe n’ait les vertus les plus précieuses. Il sert
tout simplement à vous éviter d’être tué.
C’est bien ainsi que nous pouvons considérer effectivement
le langage comme ayant une fonction. Né entre ces animaux féroces qu’ont dû
être les hommes primitifs (à en juger d’après les hommes modernes, ce n’est pas
invraisemblable), le mot de passe est justement ce à quoi non pas « se
reconnaissent les hommes du groupe », mais « se constitue le
groupe ».
Il y a un autre registre où l’on peut méditer sur cette
fonction du langage ; c’est celui du langage stupide de l’amour, qui
consiste au dernier degré du spasme de l’extase – ou au contraire de la
routine, selon les individus – à, subitement qualifier son partenaire
sexuel du nom d’un légume des plus vulgaires, ou d’un animal des plus
répugnants. Ceci exprime aussi certainement quelque chose qui n’est
certainement pas loin de toucher à la question de l’horreur de l’anonymat. Ce
n’est pas (14)pour rien que telle ou telle de ces appellations,
animal ou support plus ou moins totémique, se retrouve dans la phobie. C’est
évidemment qu’il y a, entre les deux, quelque point commun ; le sujet
humain est tout à fait spécialement exposé, nous verrons tout à l’heure, à
cette sorte de vertige qui surgit et éprouve le besoin de l’éloigner, le besoin
de faire quelque chose de transcendant ; ce n’est pas pour rien dans
l’origine de la phobie.
Dans ces deux exemples, le langage est particulièrement
dépourvu de signification. Vous voyez là le mieux ce qui distingue le symbole du signe à savoir la fonction interhumaine
du symbole. Je veux dire quelque chose qui naît avec le langage et qui fait
qu’après que le mot (et c’est à quoi sert le mot) a été vraiment parole
prononcée, les deux partenaires sont autre chose qu’avant. Ceci sur l’exemple
le plus simple.
Vous auriez tort d’ailleurs de croire que ce n’est pas
justement des exemples particulièrement pleins. Assurément à partir de ces
quelques remarques, vous pourrez vous apercevoir que, quand même, soit dans le
mot de passe, soit dans le mot qu’on appelle d’amour, il s’agit de quelque
chose, qui en fin de compte, est plein de portée. Disons que la conversation
qu’à un moment moyen de votre carrière d’étudiant, vous avez pu avoir à un
dîner de patron également moyen, où le mode et la signification des choses
qu’on échange <texte
manque> combien ce caractère est équivalent de conversations
rencontrées dans la rue et dans l’autobus, et qui n’est pas autre chose qu’une
certaine façon de se faire reconnaître, ce qui justifierait Mallarmé disant que
le langage était (15)« comparable à cette monnaie effacée qu’on
se passe de la main à la main en silence ».
Voyons donc en somme de quoi il s’agit à partir de là, et,
en somme ce qui s’établit quand le névrosé arrive à l’expérience analytique.
C’est que lui aussi commence à dire des choses. Il dit des
choses, et les choses qu’il dit, il n’y a pas énormément à nous étonner si, au
départ, elles ne sont pas non plus autre chose que ces paroles de peu de poids
auxquelles je viens de faire allusion. Néanmoins, il y a quelque chose qui est
fondamentalement différent, c’est qu’il vient à l’analyste pour autre chose que
pour dire des fadaises et des banalités que, d’ores et déjà, dans la
situation est impliqué quelque chose, et quelque chose qui n’est pas rien, puisque
en somme, c’est son propre sens plus ou moins qu’il vient chercher ; c’est
que quelque chose est là mystiquement posé sur la personne de celui qui
l’écoute. Bien entendu, il s’avance vers cette expérience, vers cette voie
originelle, avec mon Dieu ! ce qu’il a à sa disposition : à savoir
que ce qu’il croit d’abord c’est qu’il faut qu’il fasse le médecin lui-même,
qu’il renseigne l’analyste. Bien entendu, vous avez votre expérience
quotidienne ; le remettant à son plan, disons que ce dont il s’agit, ce
n’est pas de cela, mais qu’il s’agit de parler, et, de préférence, sans
chercher soi-même à mettre de l’ordre, de l’organisation, c’est-à-dire à se
mettre, selon un narcissisme bien connu, à la place de son interlocuteur.
En fin de compte, la notion que nous avons du névrosé c’est
que dans ses symptômes même, c’est une « parole bâillonnée » où
s’exprime un certain nombre, disons (16)de « transgressions à
un certain ordre », qui, par elles-mêmes crient au ciel l’ordre négatif
dans lequel elles se sont inscrites. Faute de réaliser l’ordre du symbole d’une
façon vivante, le sujet réalise des images désordonnées dont elles sont les
substituts. Et, bien entendu, c’est cela qui va d’abord et d’ores et déjà
s’interposer à toute relation symbolique véritable.
Ce que le sujet exprime d’abord et d’ores et déjà quand il
parle, s’explique, c’est ce registre que nous appelons les
« résistances » ; ce qui ne veut et ne peut s’interpréter
autrement que comme le fait d’une réalisation hic et nunc, dans la situation et avec l’analyste, de l’image ou
des images qui sont celles de l’expérience précoce.
Et c’est bien là-dessus que toute la théorie de la
résistance s’est édifiée, et cela seulement après la grande reconnaissance de
la valeur symbolique du symptôme et de tout ce qui peut être analysé.
Ce que l’expérience prouve et rencontre, c’est justement
autre chose que la réalisation du symbole ; c’est la tentative par le
sujet, de constituer hic et nunc, dans l’expérience analytique, cette référence
imaginaire, ce que nous appelons les tentatives du sujet de faire entrer
l’analyste dans son jeu. Ce que nous voyons par exemple, dans le cas de
« l’homme aux rats », quand nous nous apercevons (vite, mais pas tout
de suite, et Freud non plus), qu’à raconter son histoire obsessionnelle, la
grande observation autour du supplice des rats, il y a tentative du sujet de
réaliser hic et nunc, ici et avec
Freud, cette sorte de relation sadique-anale imaginaire qui constitue à elle
seule le sel de l’histoire. (17)Et Freud s’aperçoit fort bien, qu’il
s’agit de quelque chose qui se trahit et se traduit physionomiquement, sur la
tête même, la face du sujet, par ce qu’il qualifie à ce moment-là
« l’horreur de la jouissance ignorée ».
À partir du moment où ces éléments de la résistance sont
survenus dans l’expérience analytique, qu’on a pu mesurer, poser comme tels,
c’est bien un moment significatif dans l’histoire de l’analyse. Et on peut dire
que c’est à partir du moment où on a su en parler d’une façon cohérente et à la
date, par exemple, de l’article de Reich, un des premiers articles à ce sujet
(paru dans l’International Journal), au
moment où Freud faisait surgir le second dans l’élaboration de la théorie
analytique et qui ne représente rien d’autre que la théorie du moi ; vers
cette époque, en 1920, apparaît « das
Es » et à ce moment-là, nous commençons à nous apercevoir à
l’intérieur (il faut toujours le maintenir à l’intérieur du registre de la
relation symbolique), que le sujet résiste ; que cette résistance, ça
n’est pas quelque chose comme une simple inertie opposée au mouvement
thérapeutique, comme en physique on pourrait dire que la masse résiste à toute
accélération. C’est quelque chose qui établit un certain lien, qui s’oppose
comme tel, comme une action humaine, à celle du thérapeute ; mais à ceci
près qu’il ne faut pas que le thérapeute s’y trompe. Ce n’est pas à lui, en
tant que réalité qu’on s’oppose, c’est dans la mesure où, à sa place, est
réalisée une certaine image que le sujet projette sur lui.
À la vérité, ces termes même ne sont qu’approximatifs.
(18)C’est à ce moment également que la notion
d’instinct agressif naît, qu’il faut ajouter à la libido le terme de destrudo. Et ceci, non sans raison. Car
à partir du moment où son but <texte manque> les fonctions tout à fait essentielles de ces
relations imaginaires, telles qu’elles apparaissent sous forme de résistance, un autre registre
apparaît qui n’est lié à rien de moins qu’à la fonction propre que joue le moi,
à cette théorie du moi dans laquelle je n’entrerai pas aujourd’hui, et qui est
ce qu’il faut absolument distinguer dans toute notion cohérente et organisée du
moi de l’analyse ; à savoir du moi
comme fonction imaginaire, du moi
comme unité du sujet aliéné à lui-même, du moi comme ce dans quoi le sujet
ne peut se reconnaître d’abord qu’en s’aliénant, et donc ne peut se retrouver
qu’en abolissant l’alter ego du moi, qui comme tel, développe la dimension,
très distincte de l’agression, qui s’appelle en elle-même et d’ores et
déjà : l’agressivité.
Je crois qu’il nous faut maintenant reprendre la question en
ces deux registres : la question de la parole et la question de
l’imaginaire.
La parole, je vous l’ai montré sous une forme abrégée, joue
ce rôle essentiel de médiation. De médiation, c’est-à-dire de quelque chose qui
change les deux partenaires en présence, à partir du moment où il a été
réalisé. Ceci n’a rien d’ailleurs qui ne nous soit donné jusque dans le
registre sémantique de certains groupes humains. Et si vous lisez (ce n’est pas
un livre qui mérite toutes les recommandations, mais il est assez expressif et
particulièrement maniable et excellent comme introduction pour ceux qui ont
besoin d’être introduits), (19)le livre de Leenhardt : Do Kamo,
vous y verrez que chez les Canaques, il se produit quelque chose d’assez
particulier sur le plan sémantique, à savoir que le mot « parole »
signifie quelque chose qui va beaucoup plus loin que ce que nous appelons tel.
C’est aussi bien une action. Et d’ailleurs aussi pour nous « parole
donnée » est aussi une forme d’acte. Mais c’est aussi bien quelquefois un
objet, c’est-à-dire quelque chose qu’on porte, une gerbe… C’est n’importe quoi.
Mais, à partir de là, quelque chose existe qui n’existait pas avant. Il
conviendrait aussi de faire une autre remarque : c’est que cette parole
médiatrice n’est pas purement et simplement médiatrice sur ce plan
élémentaire ; qu’elle permet entre deux hommes de transcender la relation
agressive fondamentale au mirage du semblable. Il faut qu’elle soit encore bien
autre chose, car si l’on y réfléchit, on voit que non seulement elle constitue
cette médiation, mais aussi bien, elle constitue la réalité elle-même :
Ceci est tout à fait évident si vous considérez ce qu’on appelle une structure
élémentaire, c’est-à-dire archaïque de la parenté. Loin d’être élémentaires,
elles ne le sont pas toujours. Par exemple, spécialement complexe (mais, à la
vérité ces structures complexes n’existeraient pas sans le système des mots qui
les exprime), le fait que, chez nous, les interdits qui règlent l’échange
humain des alliances, au sens propre du mot, soient réduits à un nombre
d’interdits excessivement restreint, tend à nous confondre des termes comme
« père, mère, fils… » avec des relations réelles.
C’est parce que le système des relations de parenté, pour
autant qu’il ait été fait, s’est extrêmement réduit, dans ses bornes et dans
son champ. Mais (20)si vous faisiez partie d’une civilisation où
vous ne pouvez pas épouser telle cousine au septième degré, parce qu’elle est
considérée comme cousine parallèle, ou inversement, comme cousine croisée, ou
se retrouvant avec vous dans une certaine homonymie qui revient toutes les
trois ou quatre générations, vous vous apercevriez que le mot et les symboles
ont une influence décisive dans la réalité humaine, et c’est précisément que les
mots ont exactement le sens que je décrète de leur donner. Comme dirait Humpty
Dumpty dans Lewis Carroll quand on lui demande pourquoi. Il fait cette réponse
admirable : « parce que je suis le maître ».
Dites-vous qu’au départ, il est bien clair que c’est l’homme
en effet qui donne son sens au mot. Et que si les mots ensuite se sont trouvés
dans le commun accord de la communicabilité, à savoir que les mêmes mots
servent à reconnaître la même chose, c’est précisément en fonction de
relations, d’une relation de départ, qui a permis à ces gens d’être des gens
qui communiquent. En d’autres termes, il n’est absolument pas question, sauf
dans une perception psychologique exprimée, d’essayer de déduire comment les
mots sortent des choses et leur sont successivement et individuellement
appliqués ; mais de comprendre que c’est à l’intérieur du système total du
discours, de l’univers d’un langage déterminé, qui comporte, par une série de
complémentarités, un certain nombre de significations ; que ce qu’il y a à
signifier, à savoir les choses, a à s’arranger à prendre place.
C’est bien ainsi que les choses, à travers l’histoire, se
constituent. C’est ce qui rend particulièrement puérile toute théorie du
langage, pour autant qu’on aurait à comprendre le rôle qu’il joue dans la
formation (21)des symboles. Que celle qui est par exemple donnée par
Massermann, qui a fait là-dessus (dans l’International
Journal of Psycho-analysis 1944), un
très joli article qui s’appelle : « Language, behaviour and dynamic
psychiatry ». Il est clair qu’un des exemples qu’il donne montre assez la
faiblesse du point de vue behavioriste. Car c’est de cela qu’il s’agit en cette
occasion. Il croit résoudre la question de la symbolique du langage, en donnant
cet exemple : le conditionnement qui aurait de l’effet dans la réaction de
contraction de la pupille à la lumière, qu’on aurait régulièrement fait se
produire en même temps qu’une clochette. On supprime ensuite l’excitation à la
lumière, la pupille se contracte quand on agite la clochette. On finirait par
obtenir la contraction de la pupille par la simple audition du mot
« contract ». Croyez-vous qu’avec cela, vous avez résolu la question
du langage et de la symbolisation ? Mais il est bien clair que si, au lieu
de « contract », on avait dit autre chose, on aurait pu obtenir exactement
le même résultat. Et ce dont il s’agit n’est pas le conditionnement d’un
phénomène, mais ce dont il s’agit dans les symptômes c’est de la relation du
symptôme avec le système tout entier du langage. C’est-à-dire, le système des
significations des relations interhumaines comme telles.
Je crois que le ressort de ce que je viens de vous dire est
ceci : qu’est-ce que nous constatons, et en quoi est-ce que l’analyse
recoupe très exactement ces remarques et nous en montre jusque dans le détail
la portée et la présence ?
C’est ni plus ni moins qu’en ceci : que toute relation
analysable, c’est-à-dire interprétable symboliquement, (22)est
toujours plus ou moins inscrite dans une relation à trois. Déjà nous l’avons vu
dans la structure même de la parole : médiation entre tel et tel sujet,
dans ce qui est réalisable libidinalement ; ce que nous montre l’analyse
et ce qui donne sa valeur à ce fait affirmé par la doctrine et démontré par
l’expérience que rien finalement ne s’interprète, car c’est de cela qu’il
s’agit : que par l’intermédiaire de la réalisation œdipienne. C’est cela
que ça veux dire. Cela veut dire que toute relation à deux est toujours plus ou
moins marquée du style de l’imaginaire ; et que pour qu’une relation
prenne sa valeur symbolique, il faut qu’il y ait la médiation d’un tiers
personnage qui réalise, par rapport au sujet, l’élément transcendant grâce à
quoi son rapport à l’objet peut-être soutenu à une certaine distance.
Entre le rapport imaginaire et le rapport symbolique, il y a
toute la distance qu’il y a dans la culpabilité. C’est pour cela, l’expérience
vous le montre, que la culpabilité est toujours préférée à l’angoisse.
L’angoisse est en elle-même d’ores et déjà, nous le savons par les progrès de
la doctrine et de la théorie de Freud, elle est toujours liée à une perte,
c’est-à-dire à une transformation du moi, c’est-à-dire à une relation à deux
sur le point de s’évanouir et à laquelle doit succéder quelque chose d’autre
que le sujet ne peut pas aborder sans un certain vertige. C’est cela qui est le
registre et la nature de l’angoisse. Dès que s’introduit le tiers, et <texte manque> qui
entre dans le rapport narcissique introduit la possibilité d’une médiation
réelle, par l’intermédiaire essentiellement du personnage qui, par rapport au
sujet, (23)représente un personnage transcendant, autrement dit une
image de maîtrise par l’intermédiaire de laquelle son désir et son
accomplissement peuvent se réaliser symboliquement. À ce moment intervient un
autre registre, qui est justement celui qu’on appelle : ou celui de la loi,
ou celui de la culpabilité, selon le registre dans lequel il est vécu. (Vous
sentez que j’abrège un peu ; c’est le terme. Je crois en donnant d’une
façon abrégée ne pas vous dérouter trop pour autant, puisqu’aussi bien ce sont
des choses qu’ici ou ailleurs dans nos réunions, j’ai répétées maintes fois).
Ce que je voudrais souligner concernant ce registre, du
symbolique, est pourtant important. C’est à savoir ceci : dès qu’il s’agit
du symbolique, c’est-à-dire ce dans quoi le sujet s’engage, dans une relation
proprement humaine, dès qu’il s’agit d’un registre du « je », ce dans
quoi le sujet s’engage. Dans « je veux… j’aime… » il y a toujours
quelque chose, littéralement parlé, de problématique, c’est-à-dire qu’il y a là
un élément temporel très important à considérer. Qu’est-ce que je veux dire
ainsi ? Ceci pose tout un registre de problèmes qui doivent être traités
parallèlement à la question du rapport du symbolique et de l’imaginaire. La
question de la constitution temporelle de l’action humaine est, elle,
inséparable absolument de la première. Encore que je ne puisse pas l’arrêter
dans son ampleur ce soir, il faut au moins indiquer que nous la rencontrons
sans cesse dans l’analyse, je veux dire de la façon la plus concrète. Là aussi,
pour la comprendre, (24)il convient de partir d’une notion
structurale, si on peut dire existentielle, de la signification du symbole.
Un des points qui paraît des plus< texte manque > de la théorie
analytique, à savoir celui de l’automatisme, du prétendu automatisme de répétition,
celui dont Freud a si bien montré le premier exemple, et comme la première
maîtrise agit : l’enfant dont on abolit, par la disparition, son jouet.
Cette répétition primitive, cette scansion temporelle qui fait que l’identité
de l’objet est maintenue : et dans la présence et dans l’absence, nous
avons là très exactement la portée, la signification du symbole en tant qu’il
se rapporte à l’objet, c’est-à-dire à ce qu’on appelle le concept.
Or, nous trouvons là aussi illustré quelque chose qui paraît
si obscur quand on le lit dans Hegel, à savoir : que « le concept
c’est le temps ». Il faudrait une conférence d’une heure pour faire la
démonstration que le concept, c’est le temps. (Chose curieuse, Monsieur
Hyppolite, qui travaille la phénoménologie de l’esprit, s’est contenté de
mettre une note disant que c’était un des points les plus obscurs de la théorie
de Hegel).
Mais là, vous avez vraiment touché du doigt cette chose
simple qui consiste à dire que le symbole de l’objet, c’est justement
« l’objet là ». Quand il n’est plus là, c’est l’objet incarné dans sa
durée, séparé de lui-même et qui, par là même, peut vous être en quelque sorte
toujours présent, toujours là, toujours à votre disposition. Nous retrouvons là
le rapport qu’il y a entre le symbole et le fait que tout ce qui est humain (25)est
considéré comme tel, et plus c’est humain, plus c’est préservé, si on peut
dire, du côté mouvant et décompensant du processus naturel. L’homme fait, et
avant tout lui-même fait subsister dans une certaine permanence tout ce qui a
duré comme humain.
Et nous retrouvons un exemple. Si j’avais voulu prendre par
un autre bout la question du symbole, au lieu de partir du mot, de la parole ou
de la petite gerbe, je serais parti du tumulus sur le tombeau du chef ou sur le
tombeau de n’importe qui. C’est ce qui caractérise l’espèce humaine, justement,
d’environner le cadavre de quelque chose qui constitue une sépulture, de
maintenir le fait que « ceci a duré ». Le tumulus ou n’importe quel
autre signe de sépulture mérite très exactement le nom de symbole, de quelque
chose d’humanisant. J’appelle symbole tout ce dont j’ai tenté de montrer la
phénoménologie.
C’est pourquoi si je vous signale ceci, ce n’est évidemment
pas sans raison, et la théorie de Freud a dû se pousser jusqu’à la notion
qu’elle a mise en valeur d’un instinct de mort, et tous ceux qui, dans la
suite, en mettant l’accent uniquement sur ce qui est l’élément résistance,
c’est-à-dire l’élément action imaginaire pendant l’expérience analytique, et
annulant plus ou moins la fonction symbolique du langage, sont les mêmes pour
qui l’instinct de mort est quelque chose qui n’a pas de raison d’être.
Cette façon de « réaliser », au sens propre du
mot, de ramener à un certain réel l’image, bien entendu y ayant inclus comme
une fonction essentiellement un particulier signe de ce réel, ramener au réel
l’expression (26)analytique, est toujours chez ceux qui n’ont pas ce
registre, qui la développent sous ce registre, est toujours corrélatif de la
mise entre parenthèses, voire l’exclusion de ce que Freud a mis sous le
registre de l’instinct de mort, ou qu’il a appelé plus ou moins automatisme de
répétition.
Chez Reich, c’est exactement caractéristique. Pour Reich
tout ce que le patient raconte est « flatus vocis », la façon dont
l’instinct manifeste son armure. Point qui est significatif très important,
mais comme temps de cette expérience, c’est dans la mesure où est mise entre
parenthèses toute cette expérience comme symbolique, que l’instinct de mort est
lui-même exclu, mis entre parenthèses. Bien entendu, cet élément de la mort ne
se manifeste pas que sur le plan du symbole. Vous savez qu’il se manifeste plus
ou moins dans ce qui est du registre narcissique. Mais c’est autre chose dont
il s’agit, et qui est beaucoup plus près de cet élément de néantisation finale,
liée à toute espèce de déplacement. Bien entendu, on peut le concevoir.
L’origine, la source, comme je l’ai indiqué à propos d’éléments déplacés de la
possibilité de transaction symbolique du réel. Mais c’est aussi quelque chose
qui a beaucoup moins de rapport avec l’élément durée, projection temporelle, en
tant que j’entends l’avenir essentiel du comportement symbolique comme tel.
(Vous le sentez bien, je suis forcé d’aller un petit peu
vite. Il y a beaucoup de choses à dire sur tout cela. Et il est certain que
l’analyse de notions aussi différentes que ces termes de : résistance,
résistance de transfert, transfert comme tel… La possibilité de faire
comprendre à ce propos ce qu’il faut appeler (27)proprement
« transfert » et laisser à la résistance. Je crois que tout cela peut
assez aisément s’inscrire par rapport à ces notions fondamentales du symbolique
et de l’imaginaire).
Je voudrais simplement, pour terminer, illustrer en quelque
sorte (il faut toujours donner une petite illustration à ce qu’on raconte),
vous donner quelque chose qui n’est qu’une approximation par rapport à des
éléments de formalisation que j’ai développés beaucoup plus loin avec les
élèves au Séminaire (par exemple dans l’Homme aux Rats). On peut arriver à
formaliser complètement à l’aide d’éléments comme ceux que je vais vous
indiquer. Ceci est une espèce qui vous montrera ce que je veux dire.
Voilà comment une analyse pourrait, très schématiquement,
s’inscrire depuis son début jusqu’à la fin :
rS –
rI – iI – iR – iS – sS – SI – SR – iR –
rS. rS :
réaliser le symbole.
– rS : Cela, c’est la position de départ. L’analyste
est un personnage symbolique comme tel. Et c’est à ce titre que vous venez le
trouver, pour autant qu’il est à la fois le symbole par lui-même de la
toute-puissance, qu’il est lui-même déjà une autorité, le maître. C’est dans
cette perspective que le sujet vient le trouver et qu’il se met dans une
certaine posture qui est à peu près celle-ci : « C’est vous qui avez
ma vérité », posture complètement illusoire, mais qui est la posture
typique.
– rI : après, nous avons là : la réalisation de
l’image.
(28)C’est-à-dire l’instauration plus ou moins
narcissique dans laquelle le sujet entre dans une certaine conduite qui est
justement analysée comme résistance. Ceci en raison de quoi ? D’un certain
rapport : iI
– iI :
C’est la captation de l’image qui est essentiellement
constitutive de toute réalisation imaginaire en tant que nous la considérons
comme instinctuelle, cette réalisation de l’image qui fait que l’épinoche
femelle est captivée par les mêmes couleurs que l’épinoche mâle et qu’ils
entrent progressivement dans une certaine danse qui les mène où vous savez.
Qu’est-ce qui la constitue dans l’expérience analytique ?
Je le mets pour l’instant dans un cercle (cf. schéma entre la fin de la
conférence et la discussion).
Après cela, nous avons :
– iR – qui est la suite de la transformation
précédente :
I est transformé en R
C’est la phase de résistance, de transfert négatif, ou même,
à la limite de délire, qu’il y a dans l’analyse. C’est une certaine façon dont
certains analystes tendent toujours plus à réaliser : « L’analyse est
un délire bien organisé », formule que j’ai entendu dans la bouche d’un de
mes Maîtres, qui est partielle, mais pas inexacte.
Après, que se passe-t-il ? Si l’issue est bonne, si le
sujet n’a pas toutes les dispositions pour être psychotique (auquel cas il
reste au stade iR), il passe à :
– iS – l’imagination du symbole.
(29)Il imagine le symbole. Nous avons, dans
l’analyse, mille exemples de l’imagination du symbole. Par exemple : le
rêve. Le rêve est une image symbolisée.
Ici intervient :
– sS – qui permet le renversement.
Qui est la symbolisation de l’image.
Autrement dit, ce qu’on appelle « l’interprétation ».
Ceci uniquement après le franchissement de la phase
imaginaire qui englobe à peu près :
rI – iI – iR – iS –
commence l’élucidation du symptôme par l’interprétation
(SS)
– SI –
Ensuite, nous avons :
– SR – qui est, en somme, le but de toute santé, qui
est non pas (comme on le croit) de s’adapter à un réel plus ou moins bien
défini, ou bien organisé, mais de faire reconnaître sa propre réalité,
autrement dit son propre désir.
Comme je l’ai maintes fois souligné, le faire reconnaître
par ses semblables ; c’est-à-dire de le symboliser.
À ce moment-là, nous retrouvons :
– rR – <texte manque>
Ce qui nous permet d’arriver à la fin au :
– rS –
(30)C’est-à-dire, bien exactement à ce dont nous
sommes partis.
Il ne peut en être autrement, car si l’analyste est
humainement valable, ça ne peut être que circulaire. Et une analyse peut
comprendre plusieurs fois ce cycle.
– iI – c’est la partie propre de l’analyse,
c’est ce qu’on appelle (à tort) « la communication des
inconscients ».
L’analyste doit être capable de comprendre le jeu que joue
son sujet. Il doit comprendre qu’il est lui-même l’épinoche mâle ou femelle,
selon la danse que mène son sujet.
Le sS, c’est la symbolisation du symbole. C’est l’analyste
qui doit faire ça. Il n’a pas de peine : il est déjà lui-même un symbole.
Il est préférable qu’il le fasse avec complétude, culture et intelligence.
C’est pour cela qu’il est préférable, qu’il est nécessaire que l’analyste ait
une formation aussi complète que possible dans l’ordre culturel. Plus vous en
saurez, plus cela vaudra. Et cela (sS) ne doit intervenir qu’après un certain
stade, après une certaine étape franchie. Et en particulier, c’est en ce
registre qu’appartient, du côté du sujet (ce n’est pas pour rien que je ne l’ai
pas séparé)… Le Sujet forme toujours et plus ou moins une certaine unité plus
ou moins successive, dont l’élément essentiel se constitue dans le transfert.
Et l’analyste vient à symboliser le surmoi qui est le symbole des symboles.
Le surmoi est simplement une parole qui ne dit rien (une
parole qui interdit). L’analyste n’a précisément (31)aucune peine à
la symboliser. C’est précisément ce qu’il fait.
Le rR est son travail, improprement désigné sous le terme de
cette fameuse « neutralité bienveillante » dont on parle à tort et à
travers, et qui veut simplement dire que, pour un analyste, toutes les
réalités, en somme, sont équivalentes ; que toutes sont des réalités. Ceci
part de l’idée que tout ce qui est réel est rationnel, et inversement. Et c’est
ce qui doit lui donner cette bienveillance sur laquelle vient se briser <texte manque> et
mener à bon port son analyse.
Tout cela a été dit un peu rapidement.
J’aurais pu vous parler de bien d’autres choses. Mais, au
reste, ce n’est qu’une introduction, une préface à ce que j’essaierai de
traiter plus complètement, plus concrètement, le rapport que j’espère vous
faire, à Rome, sur le sujet du langage dans la psychanalyse.
(32)Discussion :
Le Pr Lagache
remercie le conférencier et ouvre la discussion.
Mme Marcus-Blajan – Votre conférence a
fait en moi « résonner les cloches… » il est dommage que je n’aie pas
compris certains mots. Par exemple : « transcendants ».
Deux choses m’ont frappé particulièrement :
– ce que vous avez dit à propos de l’angoisse et de la
culpabilité ;
– et ce que vous venez de dire à propos de rR.
Ce sont des choses que nous sentons très confusément.
Ce que vous dites de l’angoisse et de la culpabilité m’a fait penser à des cas,
à l’agoraphobie, par exemple.
Ce que vous dites à propos de rR… que tout ce qui
existe a le droit d’exister puisque c’est humain…
Dr Lacan –
Ce que j’ai dit à propos de l’angoisse et de la culpabilité… la distance…
L’angoisse est liée au rapport narcissique, Madame Blajan en
donne une très jolie illustration, (car il n’y a pas de phénomènes plus
narcissique) par l’agoraphobie.
Chaque fois que j’ai commenté un cas dans mon séminaire,
j’ai toujours montré les différents temps de réaction (33)du sujet.
Chaque fois qu’il se produit un phénomène à deux temps, dans l’obsession par
exemple, le 1er temps est l’angoisse, et le 2e temps est
la culpabilité qui donne apaisement à l’angoisse sur le registre de la
culpabilité.
À propos du mot « transcendant »… ce n’est pas un
mot très métaphysique, ni même métapsychologique. Je vais tâcher de
l’illustrer. Qu’est-ce que c’est ? Qu’est-ce que ça veut dire, en
l’occasion précise où je l’ai employé ?
C’est ceci : que dans le rapport à son semblable, en
tant que tel, dans le rapport à deux, dans le rapport narcissique, il y a
toujours, pour le sujet, quelque chose d’évanoui.
Il sent en fin de compte qu’il est l’autre, et l’autre est
lui. Et ce sujet défini réciproquement est un des temps essentiels de la
constitution du sujet humain. C’est un temps où il ne veut pas subsister,
encore que sa structure soit toujours sur le point d’apparaître, et très
précisément dans certaines structures névrotiques.
L’image spéculaire s’applique au maximum. Le sujet n’est que
le reflet de soi-même. Le besoin de constituer un point qui constitue ce qui
est transcendant, c’est justement l’autre en temps qu’autre.
On peut prendre mille exemples.
Par exemple, il est tout à fait clair, puisque je prenais
l’exemple de la phobie. Le fait que c’est justement à une angoisse semblable
que correspond le fait de subsister au partenaire humain quelque chose d’aussi
étranger, d’aussi séparé de l’image humaine qu’est l’image animale. En fait, si
nous voyons que quoi que nous puissions penser de la fonction, (car tout cela
n’est pas transparent, quels que soient les travaux qu’on ait fait là-dessus),
quoi que nous puissions penser de (34)l’origine historique réelle du
totémisme, il y a une chose très certaine, c’est qu’il est en tout cas lié à
l’interdiction du cannibalisme, c’est-à-dire qu’on ne peut pas manger… car
c’est tout de même le mode de rapports humains primitifs. Le mode de rapport
humain le plus primitif est certainement l’absorption de la substance de son
semblable.
Là vous voyez bien quelle est la fonction du totémisme.
C’est d’en faire un sujet transcendant à celui-là. Je ne pense pas que le Dr
Gessain me contredira ?.
Là nous retrouvons différentes questions sur un des points
qui nous intéresse le plus : le rapport entre enfants et adultes. Les
adultes, pour l’enfant, sont transcendants pour autant qu’ils sont initiés. Le
plus curieux est que justement les enfants ne sont pas moins transcendants pour
les adultes. C’est-à-dire, par un système de réflexion caractéristique de toute
relation, l’enfant devient, pour les adultes, le sujet de tous les mystères.
C’est le siège de cette sorte de confusion des langues entre enfants et
adultes, et un des points les plus essentiels dont nous devons tenir compte
quant il s’agit d’intervention sur les enfants.
Il y aurait d’autres exemples à prendre.
En particulier dans ce qui constitue la relation œdipienne
de type sexuel, qui est quelque chose du sujet, et qui le dépasse en même
temps, constitution d’une forme à une certaine distance.
Dr
Liebscrutz – Vous nous avez parlé du symbolique de l’imaginaire.
Mais il y avait le réel, dont vous n’avez pas parlé.
(35)Dr Lacan – J’en ai tout
de même parlé quelque peu.
Le réel est ou la totalité, ou l’instant évanoui…
Dans l’expérience analytique pour le sujet, c’est toujours
le heurt à quelque chose, par exemple : le silence de l’analyste.
J’aurais dû dire que, tout de même, il se produit quelque
chose que j’ai ajouté seulement à la fin. Il se produit tout de même, à travers
ce dialogue, quelque chose qui est tout à fait frappant, sur lequel je n’ai pas
pu insister, c’est-à-dire, c’est un des faits de l’expérience analytique qui
vaudrait, à soi tout seul, beaucoup plus qu’une communication. On doit poser la
question sous cet angle : comment se fait-il… ? (je prends un exemple
tout à fait concret), qu’à la fin de l’analyse des rêves… (je ne sais pas si
j’ai dit ou non qu’il sont composés comme un langage… effectivement, dans l’analyse,
ils servent de langage. Et un rêve en milieu ou en fin de l’analyse c’est une
partie du dialogue avec l’analyste…). Eh bien, comment se fait-il que ces
rêves (et bien d’autres choses encore : la façon dont le sujet
constitue ses symboles…) portent quelque chose qui est la marque absolument
saisissante de la réalité de l’analyste, à savoir : de la personne de
l’analyste telle qu’elle est constituée dans son être ? Comment se fait-il
qu’à travers cette expérience imaginaire et symbolique on aboutisse à quelque
chose qui, dans sa dernière phase, est une connaissance limitée, mais
frappante, de la structure de l’analyste ? C’est quelque chose qui à soi
tout seul pose un problème que je n’ai pas pu aborder ce soir.
(36)Dr Mauco – Je me demande
s’il ne faut pas rappeler les différents types (?) de symboles.
Dr Lacan –
… C’est un emblème.
Dr Mauco –
Le symbole c’est du vécu.
Par exemple, la maison, éprouvée d’abord par un
symbole, est ensuite élaborée collectivement, disciplinée collectivement… Il
évoque toujours le mot maison.
Dr Lacan –
Laissez-moi vous dire que je ne suis pas absolument de cet avis, comme le
démontre l’expérience analytique, à savoir que tout ce qui constitue le
symbole, ces symboles qu’on retrouve aux racines de l’expérience analytique,
qui constituent les symptômes, la relation œdipienne… Jones en fait un petit
catalogue et il démontre qu’il s’agit toujours et essentiellement des thèmes
plus ou moins connexes aux relations de parenté, du thème du roi, de l’autorité
du maître, et de ce qui concerne la vie et la mort.
Or, tout ce dont il s’agit là, ce sont évidemment des
symboles. Ce sont précisément des éléments qui n’ont absolument rien à voir
avec la réalité.
Un être complètement encagé dans la réalité, comme l’animal,
n’en a aucune espèce d’idées.
Ce sont justement des points où le symbole constitue la
réalité humaine, où il crée cette dimension humaine sur laquelle Freud insiste
à tout bout de champ quand il dit que le névrosé obsessionnel vit toujours dans
le registre de ce qui comporte au maximum des éléments (37)d’incertitude,
de ce qu’il désigne par : « la durée de la vie… « La
paternité… ». Tout ce qui n’a pas évidence sensible. Tout ce qui est dans
la réalité humaine construit est construit primitivement par certaines relations
symboliques qui peuvent ensuite trouver leur confirmation dans la réalité. Le
père est effectivement le géniteur. Mais avant que nous le sachions de source
certaine, le nom du père crée la fonction du père.
Je crois donc que le symbole n’est pas une élaboration de la
sensation ni de la réalité. Ce qui est proprement symbolique (et les symboles
les plus primitifs) est quelque chose d’autre qui introduit dans la réalité
humaine quelque chose de différent, et qui constitue tous les objets primitifs
de vérité.
Ce qui est remarquable est que la catégorie des symboles,
des symboles symbolisants, sont tous de ce registre-là, à savoir comportant,
par la création des symboles, l’introduction d’une réalité nouvelle dans la
réalité animale ».
Dr
Mauco – Mais sublimé et élaboré, on a le soubassement du langage
ultérieur.
Dr Lacan –
Là, tout à fait d’accord.
Par exemple, les relations, les logiciens eux-mêmes font
tout naturellement appel au terme de parenté. C’est le premier modèle d’une
relation transitive.
Dr Mannoni –
Le passage de l’angoisse à la culpabilité semble liée à la situation
analytique.
L’angoisse peut conduire à la honte, et non pas à la
culpabilité. Lorsque l’angoisse n’évoque pas l’idée (38)d’un
punisseur, mais d’une mise à l’écart, c’est la honte qui apparaît.
L’angoisse peut se traduire non en culpabilité, mais
en doute. Il me semble que c’est parce que l’analyste est là que l’angoisse se
transforme en culpabilité.
Dr Lacan –
Tout à fait d’accord ! C’est une situation privilégiée dans l’expérience
analytique qui fait que l’analyste détient la parole, qu’il juge ; et
parce que l’analyse s’oriente tout entière dans un sens symbolique, parce que
l’analyste l’a substituée à ce qui a fait défaut, parce le père n’a été qu’un
Surmoi, c’est-à-dire une « Loi sans parole », pour autant que ceci
est constitutif de la névrose, que la névrose est définie par le transfert.
Toutes ces définitions sont équivalentes.
Il y a en effet d’autres aiguillages infinis à la réaction
de l’angoisse. Il n’est pas exclu que certaines apparaissent dans l’analyse…
Chacune mérite d’être analysée comme telle.
Je crois que la question du doute, elle, est beaucoup plus
proche de la constitution symbolique de la réalité. Elle est en quelque sorte
préalable. S’il y a une position qu’on puisse qualifier essentiellement au sens
où je l’entends, de « subjective », c’est-à-dire que c’est elle qui
constitue toute la situation. À savoir : quand et comment est-elle
réalisée ? C’est un développement à part.
Dr Berge –
Le passage de l’angoisse à la culpabilité…
Ce qui m’a frappé dans ces deux choses, c’est la
notion d’insécurité. L’angoisse et la culpabilité : l’insécurité.
L’angoisse et la culpabilité : l’insécurité… (39)l’angoisse est
ressentie sans savoir quel est le danger. La culpabilité est une défense, parce
qu’il y a un objet, et on sait ce que c’est.
Dr Lacan –…
J’ai bien besoin d’un pont tournant…
Un… indéterminé me devient un supplice dormant.
Dr
Granoff – Le parallélisme entre l’attitude des hommes vis à vis de
l’anthropophagie et de leurs enfants.
Sans remonter très loin dans l’Histoire, dans
l’histoire des Normands, vers le 16e siècle, certaines chartres de marins
comportaient la renonciation à l’anthropologie* disant que les
marins « renonçaient à boire du sang humain… à embrocher des enfants sur
la broche… ».
Le schéma que vous donnez ici trouve son illustration
dans le processus analytique, mais aussi dans la formation de la personnalité.
Ce qui prouve que l’analyse ne fait que reprendre le processus de la formation
de la personnalité.
Dr Lacan –
Le fétichisme est une transposition de l’imaginaire. Il devient un symbole.
Dr
Granoff – Pour parler du réel, on a tous besoin de l’aide de
quelqu’un pour appréhender le réel. Et, au fond, la structure de la
personnalité du fétichisme serait une analyse qui se serait interrompue après
iS.
Le fétichisme** n’est pas un organe
génital féminin nous apprend Freud, mais une image angoissante qui
fait démarrer un processus de l’ordre de l’imaginaire. Et c’est la démarche
qui, dans ce cas particulier n’aboutit (40)jamais. Je n’ai jamais
conduit un traitement de fétichisme jusqu’à la fin. Mais il me semble que
l’exemple de fétichisme est irremplaçable.
Dr Lacan –
En effet, je n’ai pas repris le fétiche…
Dr
Granoff – Mais, sous le rapport de la culpabilité, dans la mesure
où le fétiche lui permet un rapport entre…
Dr
Pidoux – J’ai vu, à propos d’angoisse et culpabilité, je voudrais
vous demander si vous ne pensez pas que le symbole n’intervient pas… (?)… Et de
l’angoisse au travail, et de l’élément transférentiel.
Dr Lacan –
Exactement, comme il intervient dans le moindre acting-out… ce qui est
transfert et…
M. Anzieu –
Lorsque Freud a fait la théorie clinique, il a emprunté des modèles aux
théories de son époque… En nous proposant ce début de schéma… j’aimerais savoir
si ces modèles sont du registre du symbole ou de l’imaginaire. Et quelle
origine donner à ces modèles ?
Ce que vous proposez aujourd’hui est-il un changement
de modèle permanent de penser les données cliniques, adapté à l’évolution
culturelle ? Ou quelque chose d’autre.
(41)Dr Lacan – Plus adapté à
la nature des choses, si nous considérons que tout ce dont il s’agit dans
l’analyse est de l’ordre du langage, c’est à dire, en fin de compte, d’une
logique.
Par conséquent, c’est ce qui justifie cette formalisation
qui intervient comme une hypothèse.
Quant à ce que vous dites de Freud, je ne suis pas d’accord
que sur le sujet du transfert il ait emprunté des modèles plus ou moins
atomistiques, associationnistes, voire mécanistes du style de son époque.
Ce qui me paraît frappant, c’est l’audace avec laquelle il a
admis comme mode tout à fait à ne pas répudier dans le registre du
transfert : l’amour, purement et simplement. Il ne considère pas du tout
que cela soit une sorte d’impossibilité, d’impasse, quelque chose qui sorte des
limites. Il a bien vu que le transfert, c’est la réalisation même du rapport
humain sous sa forme la plus élevée, réalisation du symbole, qui est là, au
départ, et qui est à la fin de tout cela.
Et entre un commencement et une fin, qui sont toujours le
transfert ; au début, en puissance, donné par le fait que le sujet vient,
le transfert est là, prêt à se constituer. Il est là depuis le début.
Que Freud y ait fait rentrer l’amour, c’est une chose qui
doit bien nous montrer à quel point il donnait à ses rapports symboliques leur
portée, même sur le plan humain, car, en fin de compte, si nous devons donner
un sens à ce quelque chose de limite, dont on peut à peine parler, qu’est
l’amour, c’est la conjonction totale de la réalité et du symbole qui font une
seule et même chose.
(42)Dr Dolto – Réalité et
symbole, qu’est-ce que tu entends par réalité ?
Dr Lacan –
Un exemple : l’incarnation de l’amour c’est le don de l’enfant, qui, pour
un être humain a cette valeur de quelque chose de plus réel.
Dr Dolto –
Quand l’enfant naît, il est symbolique du don. Mais il peut y avoir
aussi don sans enfant. Il peut donc y avoir parole sans langage.
Dr Lacan –
Justement, je suis prêt à le dire tout le temps : le symbole dépasse la
parole.
Dr Dolto –
Nous arrivons tout le temps à « qu’est-ce que le réel ? »
et nous y échappons tout le temps. Et il y a une autre manière
d’appréhender la réalité psychanalytique aussi que celle là, qui pour ma
psychologie me semble très extrême. Mais tu es un Maître si extraordinaire
qu’on peut te suivre si on ne comprend qu’après.
Dans l’appréhension sensorielle, qui est un registre
de la réalité, à des assises qui me paraissent plus sûres… préalables au
langage, et l’image de notre corps. Et je pensais tout le temps, et surtout
pour l’expression verbale, puisque l’adulte se passe surtout avec l’expression
verbale de l’imaginaire, s’il n’y a pas l’image du corps propre… (?).
Dès que l’autre a des oreilles, on ne peut pas parler…
(?)
(43)Dr
Lacan – Tu y penses beaucoup, toi, que l’autre a des
oreilles ?
Dr
Dolto – Pas moi, les enfants.
Si je parle, c’est que je sais qu’il y a des oreilles.
Je n’en parlerai pas avant l’âge œdipien, on parle même s’il n’y a pas
d’oreilles.
Dr Lacan –
Qu’est-ce que tu veux dire ?
Dr
Dolto – Pour parler, il faut qu’il y ait bouche et oreilles. Alors
il reste une bouche.
Dr Lacan –
C’est l’imaginaire.
Dr
Dolto – J’en ai eu hier en exemple. Hier, dans un enfant muet qui
mettait des yeux sans oreille. Je lui ait dit (comme il est muet), je lui
dis : « ce n’est pas étonnant qu’il ne puisse pas parler, celui-là,
puisqu’il n’a pas de bouche ».
Il a essayé avec un crayon de mettre une bouche. Mais
il l’a mise à l’enfant à l’endroit qui coupait le cou. Il perdait la tête s’il
parlait ; il perdrait l’intelligence ; il perdrait la notion d’un
corps vertical, s’il parlait. Pour parler, il faut la certitude qu’il y ait une
bouche, et qu’il y ait des oreilles.
Dr Lacan –
Oui, je veux bien.
Mais les faits très intéressants que tu mets en valeur sont
tout à fait liés à quelque chose de complètement laissé de côté ; liés à
la constitution de l’image du corps en tant qu’…*** du moi, et avec ce
tranchant ambigu ; avec le corps morcelé.
Je ne vois pas où tu veux en venir…
(44)Dr Dolto – Le langage
n’est qu’une des images. Ce n’est qu’une des manifestations de l’acte d’amour,
qu’une des manifestations où l’être dans l’acte d’amour, est morcelé. Nous ne
sommes pas complets, puisque nous avons besoin de nous compléter quand nous
avons besoin de parole. Il ne sais pas ce qu’il dit, c’est l’autre, s’il
l’entend. Ce qui se passe par le langage peut se passer pas beaucoup d’autres
moyens.
Dr
Mannoni – Une remarque :
C’est que les dessins ne sont pas images, mais des
objets et le problème de savoir si son image est symbole ou réalité ?
C’est extrêmement difficile.
Dr Lacan –
C’est un des modes par lesquels en tout cas dans la phénoménologie de
l’intention, on aborde l’imaginaire, par tout ce qui est reproduction
artificielle, les plus accessibles.
Mme
Marcus-Blajan – Il est frappant de voir la prédominance du visuel.
Les rêves en général sont visuels.
Je me demande à quoi cela correspond ?
Dr Lacan –
… Tout ce qui est captations…
*. sic.
*. Il
s’agirait plutôt d’anthropophagie !
**. Le
fétiche ?
***. À cet
endroit une autre source indique le mot orbite.
Serait-ce Urbild ?
fuente: ELP. Escuela Lacaniana de Psicoanálisis.