martes, 7 de mayo de 2013

1.- JCM. LES CONSTELLATIONS REVELATRICES


(Dans la revue Elucidation – numéro inconnu)

1.-JCM. LES CONSTELLATIONS REVELATRICES

PAR JEAN-CLAUDE MILNER


     LES CONSTELLATIONS N’EXISTENT PAS; seules existent les étoiles qui les composent. C’est un lemme de la science moderne. C’est aussi l’un des traits différentiels qui séparent la phusis des Anciens et la Nature post-galiléenne.

   Que les constellations existent, cela suivait de la relation privilégiée qu’entretient la phusis au regard. Car elles se donnent à voir; en vérité, elles ne font que cela. Un corps céleste que nul ne voit, ne laisse pas d’exister pour l’astronomie d’aujourd’hui. Ainsi en va-t-il des exoplanètes; planètes extérieures à notre système solaire, elles échappent aux instruments les plus puissants; seul le calcul les restitue et autorise qu’on nomme chacune d’elles. En revanche, une constellation que nul ne verrait serait une contradiction dans les termes; du même coup, aucun nom ne lui serait assigné. Un observateur est requis; il doit disposer de la vue et du langage; c’est l’homme d’Ovide, visage tourné vers le haut. Les constellations n’existent que pour lui et par lui. Les bêtes n’en ont que faire, elles qui voient les étoiles et parfois s’en orientent. Quant aux dieux qui les verraient et les nommeraient, ils seraient au sens strict anthropomorphes; tels étaient les dieux antiques, tel n’est pas le Dieu des chrétiens. À la naissance du Christ préside une lumière nouvelle – comète, nova, on en dispute, mais sûrement pas constellation, signe récurrent et régulier. Grande différence avec l’enfant de la Quatrième églogue de Virgile: Jam redit et virgo…

     L’homme regarde le ciel étoilé et se persuade que les étoiles s’assemblent en figures. Il nomme ces figures. À partir des mythes et des contes, grecs ou non. Sinon que dans le dispositif de la phusis, l’épistémè reconnaissait les constellations pour des objets dignes d’elle ; Eratosthène peut relater la naissance légendaire des constellations (Catastérismes), sans cesser d’être l’astronome que l’on sait. Dans le dispositif de la science moderne, rien de tel. La Nature n’est pas faite pour le regard – elle ne se cache ni ne se montre. Visibles ou non, les étoiles son réelles ; précisément parce qu’elles sont visibles, les constellations sont imaginaires. Le dessin qu’elles forment n’est rien d’autre qu’une représentation que se donne le regard égaré afin de suspendre, un instant, une incontrôlable sidération. Aucune règle calculable dans les figures, hormis la prégnance de quelque bonne forme ; aucune relation entre les points qui les composent, hormis la demande d’arpentage, qui est la même que la demande de langage (je ne dis pas « langue ») : que le ciel ne soit pas moins arpenté que la terre et pas moins langagier. 

     Dissiper les constellations pour ne compter que les étoiles, les planètes ou les galaxies, le geste est décisif. Les conserver à des fins de repérage pratique, la transaction est habile, mais ne change rien au fond des choses (la décision remonte, semble-t-il, à Herschel). Tenir l’étoile Polaire pour un réel et les deux Ourses pour un imaginaire, cela revient à affirmer ce qui ne va nullement de soi : que ce n’est pas parce que quelque chose se donne à voir, qu’il faut en tenir compte : ce que n’est pas parce que deux choses se donnent à voir avec la même évidence, qu’il faut en tenir compte de la même manière. Le regard qui saisit l’étoile Polaire saisit aussi la Petite Ourse qui l’inclut et la Grande Ourse qui l’avoisine ; pourtant ce même regard ne saisit pas à la fois le même type d’existence. Il faut alors conclure que les phainomena ne forment pas une clase consistante ; ils n’ont donc pas à être sauvés ensemble, mais chacun doit être examiné un par un, sans exclure la possibilité que certains seulement soient préservés, d’autres étant à jamais dissipés ; ils n’ont pas à être passés au crible de leurs qualités – les qualités sont les mêmes pour l’étoile et la constellation –, mais à un autre crible, qui ne sait rien des qualités. Réciproquement, l’œil humain n’est pas le lieu ultime de la science ; il ne détermine pas la Nature, laquelle n’est pas un spectacle. Les orbes célestes, que nul ne voit et que nul ne nomme (tout au plus les calcule-t-on), sont plus effectifs que les constellations que tout le monde voit et nomme.

     Avec les constellations disparaissent des savoirs que les plus grands tenaient pour majeurs. Un geste sacrificiel est ainsi accompli. Il est pourtant constamment dénié. Les noms indistincts de ciel, de voûte céleste, de ciel étoilé, d’étoiles jettent un voile commode sur l’ambiguïté. Pour ne prendre qu’un seul exemple, le ciel étoilé dont parle Kant est-il constellé ou pas ? La différence est profonde et emporte avec soi la question de la loi morale. Si la loi morale en moi est le strict analogue des constellations hors de moi, alors, comme les constellations hors de moi, la loi morale n’est rien de plus qu’un dessin que je me fabrique pour m’orienter dans les déserts de l’amour ou l’océan des passions. On conclura volontiers que seules les passions sont réelles. Si en revanche elle est en moi l’analogue d’une étoile hors de moi – disons, une fois encore, l’étoile Polaire -, alors elle est un réel, à quoi les constellations (religions diverses, préceptes moraux, codes juridiques) apportent seulement une aide mnémotechnique. Le protestantisme éclairé, comme Petite Ourse de la moralité, voilà qui donnerait sens à la mode WASP du Teddy bear. Selon la première lecture, Kant ne touche au réel qu’à se retourner en Sade ; selon la seconde, Kant touche au réel sans se retourner.  Le problème est que sans doute, Kant consiste justement en l’impossibilité d’arrêter le balancier et que le réel en lui se retourne incessamment en imaginaire. Et inversement.

     Que les poètes aient rencontré la question, on ne devrait pas s’en étonner. Après tout, la poésie dans sa propre mémoire est balisée de constellations –qu’on songe aux Pléiades, de Sapho à Du Bellay. Mais il revint spécialement aux poètes du XIXème siècle de s’affronter au sacrifice exigé par la science ; parmi ceux-ci, je distinguerai, m’inspirant de Jacques Roubaud, les poètes du sonnet. Et parmi les poètes du sonnet, je distinguerai Mallarmé, le tiens qu’à poser la question du sonnet, de ses lois, de leur caractère strict (accentué par Banville, comme l’a fait apparaître Roubaud), tous ont de fait posé la question de la science. Plus exactement, c’est parce qu’ils étaient sollicités par l’émergence de la science de la Nature dans sa forme triomphante, qu’ils se perçurent sollicités par le formalisme poétique. Dans sa facticité et dans sa rigueur. À l’inverse, le poète qui promut au sommet des savoirs possibles, non pas la science mathématisée, mais l’histoire comme légende, fut aussi de tous le plus indifférent au sonnet : Victor Hugo.

     Les poètes du sonnet vont au nombre par la science et par le vers. Les deux voies se rejoignent-elles ou pas ? La question les a tous traversés, mais ils y ont répondu variablement. Sainte-Beuve, auditeur de Lamarck, admirateur de Claude Bernard et de Littré, a choisi la science ; la poésie n’y survivra pas. Quand Nerval parle du « luth constellé », on peut certes entendre « constellé » de biens des manières ; mais la plus simple demeure la plus assurée. Il s’agit des constellations, en deuil de l’étoile (« ma seule étoile est morte »). Les nombres du vers et du sonnet le saisissent d’un coup –entre douze et quatorze, la treizième-, mais aussi la haine des nombres de la science. Nerval les combat sans merci, redoublant l’Univers d’un Autre Univers, qui s’y ajoute et l’annule. Pour être revenu aux constellations, il lui faut revenir aux anciens savoirs et aux anciens dieux. Swedenborg l’emporte à jamais sur Newton.

     Baudelaire n’ignorait ni Sainte-Beuve ni Nerval. Mais il leur préféra Poe. Chez lui, Baudelaire crut trouver tout à la fois la science de la Nature (Euréka) et l’ideal d’un calcul poétique (The Philosophy of Composition). Il y trouva également la conjonction de la constellation et de la lettre. Dans Euréka, Poe ordonne  le ciel : « nous pouvons dire de notre Soleil qu’il est positivement situé sur le point de l’Y où se rencontrent les trois lignes qui le composent, et, nous figurant cette lettre comme douée d’une certaine solidité, d’une certaine épaisseur, très-minime en comparaison de la longueur, nous pouvons dire que notre position est dans le milieu épaisseur, » (XI). Dans Le Double assassinat de la rue Morgue, Dupin traite de la constellation d’Orion selon les développements les plus récents de l’astronomie ; c’est pour, l’instant d’après, citer Ovide (Fastes, V, 536) et commenter la substitution d’une lettre à une autre (changement d’Urion en Orion) : perdidit antiquum littera prima sonum, « l’initiale perdit sa sonorité d’autrefois ». Chez Ovide, il s’agit d’un euphémisme ; Urion s’appelle ainsi parce qu’il est né de l’urine des dieux. Épisode malséant, que la modification littérale doit dissimuler. Chez Poe, rien n’en est évoqué ; il s’agit bien plutôt, à l’exemple de Bacon, d’unifier l’interrogation de la Nature et la cryptographie.

     À la simultanéité déchirante des sollicitations, celle de la science et celle du vers, Mallarmé a conféré une expression tout à la fois systématique et dramatique. La décision de Nerval est explicitement condamnée face à la science qui élit l’Univers pour son objet et qui à l’Univers n’admet aucune limite, il est vain de construire un contre-Univers : le rêve, ou le souvenir, ou la folie. Au reste les faits sont là ; cela se termine mal.  Par les Chimères (à quoi Mallarmé oppose systématiquement la Chimère au singulier) et le suicide laid : « Vont ridiculement se pendre au réverbère », dernier vers du Guignon. À qui veut éviter chimères et ridicule, une décision autrement radicale est nécessaire. Le vers et plus généralement les Lettres doivent faire limite à la science ; entendons la science qui ose prendre pour objet le sans limites en tant que tel – ce que Mallarmé nomme en 1869 le « mouvement hyperscientifique » (Notes, p.851 de l’ancienne édition de La Pléiade, procurée par Henri Mondor et G. Jean-Aubry). Les quatorze vers du sonnet, les douze pieds de l’alexandrinm les ving-quatre lettres de l’alphabet donnent accès simultanément à la question des Lettres, contingentes et nécessaires, à la question de la nature telle que l’homme l’avait immémorialement contemplée (rythme des saisons, régularités des phénomènes célestes) et à la question de la Nature moderne comme lieu d’une science et d’une technique illimitées. L’Univers en tant qu’il pourrait être autre qu’il n’est et en tant qu’il est comme il est, Mallarmé appelle cela le Hassard – à la fois contingence de la relation du son au sens, contingence des règles du vers et contingence des lois de la Nature (l’ouvrage de Boutroux date de 1874)

     Les trois questions se résument alors en une : la poésie entendue peut-elle et doit-elle renoncer aux constellations ? On connaît la réponse de Mallarmé : « La Nature a lieu, on n’y ajoutera pas » (La Musique et les Lettres, Mondor, p. 647) ; on n’y ajoutera donc pas un Autre monde –contre Nerval encore. Ne pas ajouter, voilà justement l’instant de la constellation : « Rien/n’aura eu lieu/que le lieu/excepté/peut-être/une constellation » (Coup de dés) . Entendons : rien n’aura eu lieu que ce qui a lieu, c’est-à-dire la Nature, comme lieu de la science et de la technique –sauf l’exception qui fait limite. À relier à : « les constellations s’initient à briller : comme je voudrais que parmi l’obscurité qui court sur l’aveugle troupeau, aussi des points de clarté (...) se fixassent, malgré ces yeux scellés ne les distinguant pas » (Conflit, Mondor, p. 359 ; « comme » = « tout comme ») et à « on n’écrit pas, lumineusement, sur champ obscur, l’alphabet des astres, seul, ainsi s’indique... » (L’Action restreinte, Mondor, p.370)

     Non seulement la poésie ne renonce pas aux constellations, mais elle y trouve son répondant intelligible. À condition du moins que soit reconnue leur définitive obsolescence. Précisément parce que la science moderne en sanctionne la disparition au nom de la Nature, le soin revient à la poésie de constater cette disparition, d’en prendre définitivement acte pour la constituer en soustractions et en exception : « pour le fait, pour l’exactitude, pour qu’il soit dit » (Conflit, Mondor, p. 359). Alors seulement, elle peut opposer à l’Univers une subsistance qui soit à celui-ci comme un envers à l’égard d’un endroit et comme une limite d’ores et déjà (pg.6)  franchie : « aussi loin qu’un endroit / fusionne avec au-delà » (Coup de dés) ; ou comme la projection topologique d’une profondeur infinie en une surface ; ou comme la transformation d’un Univers sans haut ni bas en un espace avec haut et bas : « quelque surface vacante et supérieure » (Coup de dés)

     S’adressant à des Anglais marqués par leur croyance (« Angleterre ne peut à cause de Dieu (...) adopter la science pure », Notes, Mondor, p.851).  Mallarmé est on ne peut plus explicite. Dans La Musique et les Lettres (conférence prononcée à Oxford et à Cambridge en 1894), il décrit celui qu’il appelle le « civilisé édennique » : « Un homme peut advenir, en tout oubli [...] de l’encombrement intellectuel chez les contemporains ; afin de savoir, selon quelque recours très simple et primitif, par exemple la symphonique équation propre aux saisons, habitude de rayon et de nuée... » (Mondor, p. 646). Si de plus « il a [...] pris soin de conserver de son débarras strictement une piété aux vingt-quatre lettres comme elles se sont, par le miracle de l’infinité, fixées en quelque langue, la sienne », cet homme « possède une doctrine en même temps qu’une contrée » (ibid.). Le civilisé édennique (je conserve l’orthographe de Mallarmé), contemporain de la science et de la technique, ne cesse pas pour autant de reconnaître, comme Adam avant la chute, les constellations ; autant dire qu’il ne cesse pas de penser par le vers : « le vers agencé comme un spirituel zodiaque » (fragment de 1893. La littérature, Mondor, p.850). Ce faisant, il maintient, au sein de l’Univers, la mémoire de ce qui précéda la science moderne : le savoir des alternances et des constances du monde.

     Mallarmé pouvait se souvenir que, selon certains érudits, le mot « saison » est issu du latin statio, position du Soleil dans chacun des signes successifs du Zodiaque ; cette étymologie est évoquée dans le Littré. Elle est généralement rejetée au profit d’une origine satio, « semailles », mais la question n’est nullement réglée (voir par exemple Guiraud, Le dictionnaire des étymologies obscures). Mallarmé avait en tout cas lu Milton et parlait à des auditeurs qui l’avaient lu ; il s’était formé par lui une idée de l’Éden, tel que l’archange Raphaël en décrit à Adam l’achèvement, au crépuscule du Sixième Jour : « La terre, l’air résonnaient (tu t’en souviens, car tu les entendis) ; les cieux et toutes les constellations retentirent, les planètes s’arrêtèrent  dans leur station pour écouter... » (Le Paradis perdu, VII : trad. Chateaubriand). Lisibles dans l’alphabet céleste, les savoirs édenniques ne le sont pas moins dans les vingt-quatre lettres de la langue.

     On notera l’insistance sur le vingt-quatre. La mention revient plusieurs fois (cf. entre autres, Mondor, p.646 et p. 850). Mon ignorance ne me permet pas d’établir si quelque chercheur a répondu à la question : comment Mallarmé parvient-il au vingt-quatre ? Il songeait évidemment à l’alphabet grec, qui permit aux Alexandrins de décompter les chants de l’Iliade et de l’Odyssée. Mais Mallarmé parle du français ; or, l’alphabet français du XIXème siècle compte vingt-cinq lettres ; on n’y inclut pas alors le « w », lettre réputée étrangère (Brachet et Dussouchet, Grammaire Française, 1888, 34-35). Mallarmé, formé à la linguistique de son temps, l’ignorait moins que personne. Une conjecture : ayant exclu le « w », comme Brachet et Dussouchet, Mallarmé aurait fait un pas supplémentaire, en excluant le « K » -lettre purement grecque ou étrangère (voir ce qu’en dit le Littré et, par contraste, l’usage qu’en fait Leconte de Lisle). Il serait intéressant de vérifier si Mallarmé use du « K » ou du « w » dans le volume de ses Poésies, calligraphié par ses soins (noms propres mis à part, Whistler ou Wagner). Un premier examen semble prouver que non. On opposera les Vers de Circonstance (« Mademoiselle Wrotnowska », Les loisirs de la poste, CVII, ou « kyrielle », ibid., CVIII)- Dans les poèmes de jeunesse, que, justement, il ne reprit pas en volume,  le verbe « polker », danser la polka (Contre un poète parisien, Mondor, p. 21). Mallarmé ou le lipogramme caché ?

     Quelles qu’elles soient, les deux lettres manquantes rétablissent le droit des constellations. Mais ces dernières ne subsistent qu’au titre d’une trace, incessamment disparaissant. Témoin, une fois encore, le texte de Coup de dés : vers /ce doit être /le Septentrion aussi Nord /une constellation /froide d’oubli et de désuétude. »  Il ne faut pas comprendre le groupe épithète comme la particularisation d’une constellation (page 7) opposable à d’autres, qui ne seraient ni froides ni oubliées ni désuètes. Au temps de la science, toute constellation est comme telle désuète et vouée à l’oubli. Le nom même s’en efface. « Le Septentrion aussi Nord », le second nom rature le premier. Or le Septentrion nomme une constellation : Septem triones, les sept bœufs de labour : ainsi les Latins appelaient-ils la Grande Ourse et parfois la Petite Ourse. Mallarmé, il est vrai, ne mentionne jamais que la première, alors que l’étoile Polaire appartient à la seconde : c’est que la Grand Ourse brille aux regards, or Mallarmé ne prend en compte que la brillance (« les constellations s’initient à briller »)

     En tant que vocable (germanique et non plus latin), le Nord n’a rien de sidéral. Dans sa signification objective, il relève d’une détermination toute pratique (« intérêt » dit le texte) et peut-être toute terrestre : Mallarmé, qui mentionne Jules Verne dans La Dernière Mode en 1874, avait peut-être lu Les Anglais au Pôle Nord et Le Désert de glace (publiés chez Hetzel en 1867, sous le titre général Voyages et aventures du Capitaine Hatteras). Quoi qu’il en soit, obliquant vers le pôle magnétique, l’aiguille de la boussole ne sait rien ni de l’étoile Polaire ni des Ourses. Les phares et fanaux divers, pas davantage.  Mallarmé ne les mentionne que pour les écarter : « hors l’intérêt /quant à lui signalé /en général /selon telle obliquité par telle déclivité /de feux... »

      Le temps de proférer le monosyllabe Nord, la constellation s’abolit, comme il convient à l’ère de la science et de la technique modernes. Vers le Nord pourtant, l’instant d’après, tel sujet la trouvera, en exception de l’Univers. « Froide d’oubli et de désuétude » certes, mais « pas tant /qu’elle n’énumère/sur quelque surface vacante et supérieure/le heurt successif/sidéralement/d’un compte total en formation ». Mais pourquoi le sujet la rechercherait-il ? Pour une seule raison : le désir du compte total, supporté par les Lettres, vingt-quatre en tout, pas une de plus, pas une de moins. Le compte total, voilà ce qui reste du Livre de naguère. Le rend possible, non pas tout ce qui existe au monde (« tout, au monde, existe pour aboutir à un livre », écrivait encore Mallarmé en 1895, Le livre, Mondor, p. 378 ; il a cessé d’y croire en 1897) mais bien plutôt ce qui n’y existe pas. Ou ce qui y existe pour en dire que non.
Les constellations n’existent pas dans l’Univers, mais, malgré tout, elles brillent. Leur brillance fait de leur inexistence, une existence. Au sens strict, cette existence tient à leur seul brillance et commence avec elle ; « les constellations s’initient à briller », les mots se laissent à présent interpréter complètement. C’est un commencement absolu. Cette existence, incessamment commencée chaque nuit, dit que non de l’Univers de la science. Elle dit que non de la Nature, en tant qu’elle n’est pas la phusis. Les constellations font limite à L’Univers infini et à la Nature, instituées de ce fait en figures du Tout : « on n’y ajoutera pas. » De même ici-bas, la mer fait limite à ce qui existe sur terre : « de l’Infini se séparent et les constellations et la mer, demeurées, en l’extériorité, de réciproques néants... » (Igitur, Mondor, p. 435).

     Comment ne pas songer à Wittgenstein et à sa définition du Mystique : « le sentiment du Monde comme totalité bornée » (Tractatus, 6.45) ? La décision de Mallarmé appelle cependant un autre commentaire. À laisser la Nature en son lieu, c’est la science qu’il limite. La science dont Renan dit en 1890 qu’elle a de l’avenir et que Mallarmé appelle « hyperscientifique ». Dans cette stratégie de la limite, il fait de la mathématique son alliée : « il faut étudier nos mathématiciens » (note de 1869, Mondor. P. 851). Le nombre comme limite de la Nature et de la science modernes, cela est tout à la fois légitime et possible, à une condition : du nombre, remémorer la généalogie. Elle ramène aux constellations, « le nombre /issu stellaire » (Coup de dés, Mondor, p. 472). Non pas la science mathématisée donc, mais la mathématique. La mathématique en exception de la science. Or, le nombre remémoré, est le vers. 


Cette entrée a été publiée dans Sciences humaines, Litterature, Philosophie sur Mars 12, 2013 par loic."


Transcription fait par margaritamz, dans le cadre de TOPSYLAC et LUTECIUM
traduction et travail sur le texte ídem topsylac ici